L’éthique du colibri

Par Pierre RABHI

Les crises écologique, économique, sociale et culturelle que nous traversons, les enjeux auxquels nous sommes confrontés sont sans précédent. La course à la croissance et aux profits illimités épuise les ressources, aliène les personnes, affame les peuples, détruit la biodiversité.

L’humanité se trouve à un carrefour. L’interdépendance du vivant étant irrévocable, nous sommes appelés, si nous voulons assurer la pérennité et l’épanouissement de l’espèce humaine sur la planète, à profondément et consciemment changer la vision que nous avons du monde et de la société.

 1. Il est indispensable de changer de paradigme de société

Notre modèle de société conduit l’humanité vers l’abîme. Il est principalement fondé sur une croissance économique infinie, un prélèvement sans limite des ressources naturelles, une prédominance de l’argent et de la logique économique sur la nature et les êtres humains, le non respect des équilibres naturels, le patriarcat, l’éducation à l’obéissance, les structures de domination, la compétition, la violence.

Il est incontournable de changer l’orientation de nos activités et de nos structures sociales pour les mettre au service de la nature et des êtres humains.

 2. La société c’est moi et je suis la société.
C’est mon changement qui détermine le changement du monde.

Notre organisation sociale est la traduction concrète de notre représentation du monde. Pour que nos modèles changent, nous devons individuellement voir le monde différemment et incarner au quotidien une relation harmonieuse à nous-mêmes, aux autres et à la nature.

 3. Nous sommes tous liés et interdépendants

Nous sommes partie intégrante d’un écosystème vivant. Nous ne sommes séparés de rien. Détruire la nature ou nuire à des êtres humains, même à l’autre bout de la planète, revient à nous détruire nous-mêmes.

De la même façon, les enjeux écologiques, sociaux, politiques sont étroitement liés et ne peuvent être traités séparément. Notre vision doit être globale et notre action concerner tous les plans de l’être et de la société.

 4. L’autonomie est l’un des fondements de la liberté

Si nous sommes tous liés par un destin commun, chaque personne, chaque culture, chaque territoire doit pouvoir s’exprimer et s’épanouir dans sa diversité. L’autonomie est l’une des conditions essentielles permettant à un individu, un collectif humain ou à un territoire de faire ses choix par et pour lui-même, et de préserver son intégrité et sa liberté.

 5. L’éducation est le ferment de notre rapport à nous-mêmes, aux autres et à la nature

« Il ne peut y avoir d’écologie saine tant que nous fabriquerons des êtres avides de vengeance et de destruction. » Alice Miller

Le modèle éducatif actuel, fondé sur l’éducation à l’obéissance, la violence éducative ordinaire, la différence de valeur accordée à un enfant par rapport à un adulte, à une femme par rapport à un homme, et sur un système d’instruction destiné à conformer chaque enfant à un système de performance, de compétition et de domination, est l’une des sources majeures du désordre de nos sociétés.

L’enfance est le moment où se forment les perceptions du monde, où se construit la relation aux autres, à la société, la confiance et l’estime de soi, la capacité d’empathie…

L’éducation a pour vocation d’accompagner les enfants à devenir des êtres libres, épanouis et responsables, à trouver leur juste place dans la société, fidèle à leurs aspirations et à leurs talents ; à respecter la terre qui leur donne la vie, à connaître la nature dont ils sont issus, à coopérer avec leurs semblables.

Elle n’est pas l’apanage de l’école, ni des systèmes éducatifs, mais la responsabilité de l’ensemble de la société.

 6. L’avenir est dans le génie de la simplicité, l’élégance de la sobriété

« Dans le futur, la plus grande performance consistera à répondre à nos besoins par les moyens les plus simples et les plus sains. » Pierre Rabhi

Les contraintes d’un monde limité en ressources naturelles et le devoir d’équité envers les autres êtres humains, nous offrent aujourd’hui deux opportunités extraordinaires :

  • exercer notre créativité dans un champ nouveau consistant à trouver la façon la plus saine et la plus simple de résoudre nos problèmes, de subvenir à nos besoins, de faire fonctionner nos sociétés.
  • nous épanouir dans un nouvel art de vivre où le bonheur d’être supplante la capacité d’avoir : « la sobriété heureuse ».

7. Small is beautiful

Dans la nature, un organisme ne croît pas indéfiniment. Il s’adapte aux contraintes extérieures pour atteindre sa taille optimale : ni trop grand, ni trop petit, capable de subvenir à ses besoins et d’assurer sa pérennité. Chercher en toute structure une taille optimale, permettant une gouvernance harmonieuse et responsable, des relations humaines directes, souplesse et légèreté dans l’action, le respect de la liberté et de l’intégrité de chacun, une empreinte écologique légère, une véritable autonomie, est non seulement un gage d’efficacité mais également d’altruisme et de sagesse.

8. La coopération est la condition incontournable du changement

La complexité extrême de nos sociétés et l’enchevêtrement de nos destins nous oblige, plus que jamais, à nous réunir et à coopérer pour résoudre les crises que nous traversons. Aucun être humain, aucune classe sociale, aucune culture, aucun peuple ne peut prétendre connaître, seul, les solutions, ni se désolidariser de ces enjeux planétaires. L’intelligence collective, mâtinée d’altruisme, d’humilité, de générosité, peut en revanche faire de nos diversités et de nos différences une formidable force créative et transformatrice. Nous avons besoin les uns des autres pour changer.

9. Le territoire est le lieu d’action privilégié pour amorcer la transformation

La commune, la ville, le village, tous les types de territoire où les êtres humains ont une prise suffisante pour participer à la transformation de la société et pour en ressentir directement les effets, sont les lieux privilégiés d’une véritable mutation, fondée sur l’autonomie.

10. La joie est notre bien suprême

« La finalité humaine n’est pas de produire pour consommer, de consommer pour produire ou de tourner comme le rouage d’une machine infernale jusqu’à l’usure totale. C’est pourtant à cela que nous réduit cette stupide civilisation où l’argent prime sur tout mais ne peut offrir que le plaisir. Des milliards d’euros sont impuissants à nous donner la joie, ce bien immatériel que nous recherchons tous, consciemment ou non, car il représente le bien suprême : la pleine satisfaction d’exister.

Un jour, il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation, qui n’est pas de produire et de consommer sans fin, mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes »


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