La dignité, un mot devenu imprononçable ?

Cet été, j’ai assisté à pas moins de deux cérémonies organisées par des associations dont la vocation principale est la solidarité et l’aide aux jeunes migrants. Je n’étais nullement étonné lorsqu’on citait l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme au cours des différentes prises de parole. Mais j’étais cependant un peu surpris, et pourquoi ne pas le dire, déçu de constater dans les deux cas, que la citation était tronquée. Il manquait le mot « dignité » qui donne pourtant tout son sens à cette phrase !

J’ai donc pensé qu’il n’était pas inutile de relire ce texte fondateur de notre civilisation, adopté en 1948 par 50 pays sur 58[1], qui est devenu leur Déclaration universelle des droits de l’homme.

On peut imaginer que le texte a été rédigé avec soin, à la virgule près, et dans la langue de chaque pays, pour éviter toute interprétation de traduction.
Cette déclaration ne contient pas moins de 30 articles, précédés d’un préambule tout aussi intéressant. Elle constitue aujourd’hui une référence reconnue et un idéal à atteindre, aussi bien dans le droit, mais aussi dans les valeurs auxquelles se rattachent nos démocraties modernes.

Sachant que l’essentiel est abordé dès les premières lignes, je me contenterai des quelques réflexions que celles-ci m’inspirent, laissant aux plus courageux le soins d’approfondir le texte entier, éventuellement à la lumière des études réalisées par de nombreux chercheurs, juristes et autres philosophes.

Rappelons d’abord le début du préambule qui précise l’idée sur laquelle repose tout le texte : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde… « .
Puis vient l’article premier, ainsi libellé :

« Article premier
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité
« .

On y voit d’emblée la devise républicaine de la France « Liberté, égalité et fraternité », mais il convient d’aller plus loin.

En effet, cette « Déclaration » annonce dès le premier mot qu’elle concerne « tous les êtres humains » sans distinction, de race, de couleur ou de religion ou de fortune. Ce qui suit est donc de la plus haute importance, établissant les bases universelles de toute philosophie.

Ils sont égaux, dès la naissance, en dignité et en droit.
Le préambule a mentionné que c’est la reconnaissance de la « dignité » qui confère aux êtres humains les droits dont il va être question. Donc, sans cette dignité, pas de droits…

Dignité et droits qui s’appliquent dès la naissance, et ne sont pas consécutifs à quelques privilèges ou mérites. Dignité et droits qui ne sont donc pas acquis, mais intrinsèquement constitutifs de la nature humaine.

Le texte poursuit en affirmant que cette notion, à elle seule, conditionne le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Voilà qui n’est pas rien !

Alors, oublier le mot « dignité » dans cette citation de l’article premier, laisserait à penser que nous ne sommes attentifs qu’aux droits qui seraient inhérents à notre statut d’êtres humains.

C’est bien ce qui est fréquemment observable dans le quotidien, où les exigences de droits l’emportent sur les devoirs.

Oui, cette notion de dignité est d’abord la fondation de nos devoirs. Et ce qui vient spontanément à l’esprit, c’est que le premier devoir qui s’impose à l’être humain est bien le respect qu’il doit à cet autre humain, aussi appelé le « prochain », qui est aussi digne que lui-même et ceci, dès sa naissance.

Ceci est fondamental et devrait se manifester dans tous nos rapports humains.

En conséquence, on imagine aussi que cette dignité inconditionnelle pourrait être altérée par un manquement à ce devoir de respect. On pourrait donc, selon les circonstances, porter atteinte à notre dignité lorsque nous sommes offensés, ou se conduire de façon indigne lorsque nous sommes l’offenseur. Peut-être, peut-on aussi ajouter le cas où nous sommes indigne quand nous laissons faire.

On pourrait multiplier les exemples de situations qui portent atteinte à ce qui constitue l’essence même de notre nature humaine. Les médias nous les relatent avec avidité chaque jour et les moulinent à leur sauce, ne nous laissant hélas ! que peu d’espace pour réfléchir et prendre conscience.

Récemment, il a été question de caricatures et du « droit au blasphème » dont nous semblons être fiers. On pourra le contester, mais je pense qu’elles sont irrespectueuses, et peuvent être perçues comme une véritable offense à la dignité des adeptes.
Ceci vaut, quel que soit le mouvement religieux, politique ou associatif visé. En effet, je ne limite pas mon propos aux seules religions, si l’on entend par « blasphème », une « profanation de ce qui est sacré ». Le droit de libre expression ne se satisfait pas par le blasphème dont on ne sait pas bien à quoi il peut servir !

On peut déplorer que la liberté d’expression tant revendiquée, autorise à peu près tout, y compris les fausses informations ainsi que toutes celles qui portent atteinte à la dignité humaine et qui encombrent l’espace médiatique et des réseaux sociaux.
Je crois pourtant, qu’il est possible de s’exprimer librement, sans se conduire de façon indigne, et sans porter atteinte à la dignité d’autrui.

Le mot Dignité est de plus en plus absent de notre vocabulaire quotidien. Il est devenu tabou dans notre société, caractérisée par l’irrespect généralisé et les violences de toutes natures. Certaines sont si atroces et si inhumaines qu’on se demande si leurs auteurs détiennent encore quelques traces de cette dignité qui pourrait les rattacher à l’espèce humaine. Les médias ne manquent pas d’en faire leurs choux gras : La dignité est finalement absente de nos esprits.
C’est bien de cela dont nous souffrons.

Heureusement, la dignité de l’homme est « imperdable », « inaliénable », « inconditionnelle »… parce qu’elle est la marque de l’humanité.
Mais voilà du grain à moudre pour une autre réflexion…

Le mouvement Colibris affirme les valeurs de la non-violence, du respect de soi, des autres et de la nature.
Oui, la dignité, c’est de l’écologie humaine qu’il nous appartient de restaurer.

A chacun de faire sa part !

[1]

Aucun État ne s’est prononcé contre et seuls huit se sont abstenus. Parmi eux, l’Afrique du Sud de l’apartheid refuse l’affirmation au droit à l’égalité devant la loi sans distinction de naissance ou de race ; l’Arabie saoudite conteste l’égalité homme-femme. La Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et l’Union soviétique (Russie, Ukraine, Biélorussie), s’abstiennent, quant à eux, en raison d’un différend concernant la définition du principe fondamental d’universalité tel qu’il est énoncé dans l’article 2 alinéa 1. Enfin, les deux derniers États n’ayant pas pris part au vote sont le Yémen et le Honduras.

 

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