Le regard de Pierre RABHI – Les Migrants

Propos retranscrits par Claire Eggermont

Les migrants

La problématique des migrations actuelles de populations ne devrait pas nous faire oublier celles qui ont concerné l’Europe pendant des siècles et sans lesquelles celle-ci serait très proba­blement le continent le plus pauvre.

Les Européens ont migré partout, non pour être aidés, mais pour confisquer. « Poussez-vous ! On prend la place ! », a été le précepte appliqué lors de cette spoliation des ressources et des territoires d’autrui qui s’est faite sur tous les continents. Les missionnaires « civilisa­teurs » ont ainsi investi la planète entière, cherchant à imposer au monde un certain type d’évolution. Il me semblait important de rappeler ces faits, face aux milliers de migrants qui quittent aujourd’hui leur pays dans la détresse.
Cette vague de naufragés sur les rives de l’Histoire qui frappe aujourd’hui aux portes des nantis n’est-elle pas le retour de ce que les « civilisés » ont semé avec l’idéologie du progrès, de la croissance à tout prix, du « toujours plus » et de la compétition? La misère que fuient pour bonne partie ces « migrants » n’est pas due à l’insuffisance de ressources. Sans souscrire à une démographie sans limites (ce qui serait insensé), nous savons que la planète pourrait nourrir dix milliards d’êtres hu­mains. En outre, l’Afrique est loin d’être le continent pauvre que nous imaginons souvent : les précieuses ressources de son sous-sol en font une terre immen­sément riche !

Comme le disait Jean Ziegler, la misère est donc « faite de mains d’hommes ». Les mouvements de population qui en découlent sont le résultat d’op­tions économiques et géopolitiques internationales. Par-dessus le destin collectif de l’humanité se tra­ment tout un tas de connivences entre les gouver­nements, de tractations, de négociations et de tur­pitudes dans lesquelles l’appât d’argent et de pouvoir prime sur le respect de l’humain et du vivant dans son ensemble.
Nous laissons des dictateurs et des roitelets sanguinaires s’accrocher au pouvoir tout simplement parce que, trop intéressés par leurs res­sources, nous ne pouvons nous fâcher avec eux. Il est vraiment dur de voir ces milliers de migrants vouloir rejoindre la prospérité en pensant que l’Occi­dent a réussi, et en oubliant qu’un lopin de terre bien cultivé est bien plus sûr que des dollars ! Après coup, certains découvrent que notre monde civilisé est lui-même en crise. Chômage, épuisement, frénésie stérile, dépression, solitude, etc. : le bonheur es­compté n’est pas au rendez-vous.
Bien heureuse­ment, dans ce chaos ambiant, des élans de solidarité émergent, signes d’une protestation active et paci­fique qui essaie de dessiner un nouvel avenir…

Merci à tous ces hommes et ces femmes qui posent ainsi les fondements d’une nouvelle convivialité planétaire. Car nous sommes arrivés à une phase décisive de l’Histoire dans laquelle nous sommes appelés à changer pour ne pas disparaître. Mais au-delà des initiatives individuelles isolées, chaque gouvernement devrait s’engager à tout mettre en œuvre pour que les besoins fondamentaux de ses citoyens soient respectés sur leur territoire. Il est temps que l’autosuffisance alimentaire des popu­lations soit reconnue comme étant la priorité abso­lue. Et par-dessus tout, c’est l’état d’esprit qui gou­verne notre monde qui est appelé à une profonde mutation. Il suffirait que tous les efforts et les bud­gets consacrés aujourd’hui à la mort et à la des­truction soient désormais alloués à la paix et à l’autonomie alimentaire pour infléchir le cours de l’Histoire.
Qu’attendons-nous pour cela ?

 

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